Céréales

De la pluie bientôt ?
J'ai volontairement conservé le titre de la semaine dernière car de l'eau à Gembloux et en Hesbaye, jusqu'à présent, il n'y en eut guère. Certains d'entre vous ont été plus chanceux ce samedi et c'est tant mieux : une dizaine de litres à Libramont, une autre dizaine à Soignies. Cela permettra les levées des semis de maïs et chicorées. Pour les plaines de Hesbaye, il faudra encore attendre un peu et la suite s'avère toujours incertaine : certains modèles nous en annoncent d'autres pas et ces prévisions varient d'heure en heure. Les prévisions des différents sites météo que nous consultons tous, résultent de l'analyse d'intelligence artificielle. A très court terme, grâce aux radars de pluies, les précisions sont fiables mais dès que l'on passe quelques heures, le système décroche. Il serait judicieux de replacer quelques météorologues humains derrière les écrans d'ordinateurs afin de tempérer les ardeurs de ces « IA » qui pour un petit nuage égaré ou un vol d'oies sauvages en migration, nous annoncent 25L/m² avant de se rétracter. Ce n'est pas de réflexions virtuelles dont nous avons besoin mais de réflexions fondées émises par des personnes qui ont pris le temps de les vérifier. On nous répète à longueur de journée que les capteurs, la numérisation, le deux points zéro vont nous faire faire des bons de géants. Pour la prévision des précipitations, je ne peux que constater qu'il reste beaucoup de travail, …
Les températures annoncées sont quant à elles, plus fiables. Cette semaine, elles sont adéquates pour tous les travaux de champs : pas de gel, pas d'excès, aucune contre-indication donc.
Ce n'était pas le cas jusqu'à présent mais certaines parcelles ou parties de champs passent d'un beau vert à un vert jaunâtre nettement moins agréable à l'œil. De façon prévisible, il s'agit des semis tardifs dont le système racinaire est moins développé et des plantes semées sur les taches de roches ou de sables.
Stade de développement
Si les épeautres sont connus pour être plus tardifs que les froments, les écarts entre ces deux espèces varient d'une année à l'autre. Cette année, l'écart est faible. Epeautre et froment sont, tous deux, au stade premier nœud (BBCH 31). Par rapport aux 3 dernières années, les épeautres ont une semaine d'avance, … pas les froments. Et pourtant les températures moyennes depuis janvier sont inférieures cette année à celles des trois dernières saisons. La logique, il y en une, n'est pas à rechercher dans la température mais bien dans la luminosité. Cette dernière est bien supérieure cette année et les épeautres sont justement plus photopériodiques que thermopériodiques. Si les deux espèces sont sensibles à ces deux paramètres, pour les épeautres, c'est la disponibilité en lumière qui reste déterminante. C'est l'inverse pour la majorité des froments bien que chaque variété soit plus ou moins sensible à ces deux paramètres.
L'écart se creuse entre les semis précoces et ceux plus tardifs qui commencent à souffrir de la sécheresse. Les premiers sont toujours bien verts mais les second semblent à l'arrêt et ne sont plus capables de croître. Ils prennent des teintes jaunâtres car la soif en céréales entraîne la faim, l'azote ne parvenant plus aux racines.

En bio, désherbage toujours possible
Si en agriculture conventionnelle, le temps des désherbages est désormais passé, en bio il est encore possible de parfaire le travail. C'est particulièrement utile pour les terres à renouées. Ces adventices ne germent qu'avec les températures printanières et elles étaient absentes lors des passages antérieurs. Dans les terres où le recouvrement de la céréale n'est pas optimal, les zones vides risque de permettre leur développement. Dans ces situations, un passage avec la herse étrille pourrait efficacement solutionner le problème. Evidemment, le tracteur doit être équipé de fines roues, la herse doit être large afin de ne pas entraîner plus de dégâts que les bienfaits générés par le désherbage.
Fertilisation
Le temps annoncé pour cette semaine devrait permettre à ceux qui ne l'ont pas encore fait, d'apporter la deuxième fraction. Que ce soit en solide ou en liquide, il est toujours préférable de l'appliquer juste avant la pluie. En liquide, un petit rappel utile est de ne pas appliquer l'azote sur les feuilles encore humides de la rosée du matin. Pour la dernière fraction, qu'elle soit seconde ou troisième, il est conseillé d'attendre le stade dernière feuille pointante (BBCH 37).
Régulateur de croissance
Comme expliqué dans l'avis de la semaine dernière, l'année n'est pas à risque pour la verse. Jusqu'à présent, étant donné la météo, nous avons freiné l'application de régulateur. Pour les champs qui ont atteint le stade premier nœud (BBCH 31) et qui ont bénéficié de pluies, les plantes sont désormais suffisamment vigoureuses pour supporter un raccourcisseur. Pour les tardives, mieux vaut encore attendre. Si un traitement est décidé, il n'est pas nécessaire d'utiliser les produits les plus efficaces (contenant du trinexapax-ethyl) car ils sont également les plus phytotoxiques. De notre côté, pour nos essais d'épeautre traités, nous nous contenterons d'un traitement unique à base de prohexadione-Ca. Nous appliquerons celui-ci la semaine prochaine.
Maladies et taches physiologiques
Les plus observateurs d'entre vous auront peut-être remarqué quelques pustules de rouille jaune sur de vieilles feuilles. Il y en a depuis le début mars mais nous avons jugé inutile de vous en inquiéter car elles ne représentent aucun danger pour la culture. L'ennemi juré de la rouille jaune est le rayonnement UV du soleil qui détruit les spores du champignon. Celui de la septoriose est la sécheresse qui ne permet pas aux ascospores de passer de feuilles en feuilles. La météo 2025 est notre meilleur fongicide et si cela se poursuit, le traitement unique dernière feuille pourra être la norme et le garant du rendement économique le plus élevé.
Si les champignons sont rares sur les feuilles, on peut cependant y observer depuis quelques jours des taches nécrotiques et des décolorations. Ces symptômes sont liés aux conditions sèches ainsi qu'au vent du nord qui a soufflé durant la semaine écoulée. C'est ce que l'on appelle des taches physiologiques. Je n'aime pas trop ce terme car on l'utilise souvent pour masquer notre ignorance. Je préfère dire que si l'on n'en connait pas précisément la cause, ces symptômes abiotiques n'évolueront pas négativement et que les conditions météorologiques en sont responsables. Si on tente cependant d'en approfondir les causes, on peut penser qu'en conditions sèches et venteuses, la plante perd plus d'eau qu'elle ne peut en prélever et que les conséquences se marquent aux extrémités des feuilles et sur les plus anciennes d'entre elles.
Le coin « Culture »
Comme pour les avis précédents, ce chapitre ne participe pas à l'évaluation hebdomadaire de la culture de l'épeautre mais en présente une partie plus historique.
Vers l'an 400, sous la pression des peuples germaniques, on assiste à la chute de l'empire romain, on traverse alors dans une période moins connue de l'histoire car elle n'a laissé que peu d'écrits. Parmi les peuples venus de l'est, certains venaient de loin : les Goths provenaient de la Roumanie et de l'Ukraine actuelle, d'autres étaient des peuples voisins originaires de l'Allemagne actuelle. C'était le cas par exemple des Francs, des Burgondes, des Alamans, des Angles. Tous ont migré vers l'ouest entraînant leurs coutumes et leur culture. Parmi ceux-ci, on retrouve le peuple des Suèves. Ce peuple déjà ancien était contemporain de nos Gaulois. Comme ceux-ci, ils cultivaient abondamment l'épeautre dans le sud de l'Allemagne. Dans la région actuelle de Stuttgart, vous trouverez encore partout le nom « Swabian » qui découle directement de « Suèves ». Cette région n'existe pas de façon administrative car elle occupe un territoire qui s'étend à la fois sur le Wurtenberg et sur la Bavière. On peut établir un parallèle entre le Swabian et le Condroz. Notre Condroz, comme le Swabian, doit son nom au peuple qui y cultivait l'épeautre il y a 2000 ans, dans notre cas, les Condruzes. Tout comme la région de Swabian, le Condroz est également à cheval sur des provinces différentes (Namur et Liège) mais reste une entité à laquelle les habitants sont sentimentalement très attachés.
Au sud de Stuttgart, l'université d'Hohenheim est à l'origine de 80% des épeautres allemands (Zollernspelz, Badengold, Albertino,…). Le plat typique Swabian, même s'il ne date pas de cette époque s'appelle Spätzel : des pâtes d'épeautre aux œufs. La culture de l'épeautre y est très vive et les boulangeries y proposent une grande diversité de pains d'épeautre. Comme quoi, la culture y est tenace.
Mais revenons il y a 1600 ans, lors de la migration des peuples germaniques, les Suèves ont suivi les Vandales. Ils ont traversé la France du nord au sud mais alors que les Vandales ont poursuivi jusqu'au sud de l'Espagne pour y créer l'Andalousie, les Suèves se sont installés au Nord-Ouest de l'Espagne et ont y fondé le royaume de Galice.

Depuis, l'épeautre y a été cultivé durant des siècles. Cela peut paraître improbable de trouver de l'épeautre, céréale symbolique de la résistance au froid en Espagne. Mais il faut savoir que le nord de l'Espagne est une région à climat océanique. Il n'y fait pas très chaud : la moyenne annuelle est de 14°C, (celle de la Belgique de 10°C) et il y pleut en moyenne plus de 1000 Litres par an, ce qui est équivalent aux précipitations que l'on observe à Libramont.
Au début du siècle dernier, la culture de l'épeautre était encore bien présente en Asturies (région située à l'est de la Galicie) ; en 1935, un agronome suisse y a prélevé une centaine de races locales. Elles sont toujours maintenues dans les collections de l'Agroscope, le CRA-W suisse.

Nous nous sommes procuré certaines de ces lignées car elles semblent présenter des résistances à une maladie dont on craint l'expansion en Europe occidentale. Il s'agit de la rouille noire. Cette maladie étant endémique de l'Afrique et du sud de l'Europe, les variétés espagnoles y ont développé des résistances que nous n'avons pas en Belgique et en Allemagne. Depuis 5 ans, la rouille noire est de retour chez nous après 75 ans d'absence et les épeautres étant les plus tardifs de nos céréales, ce sont également les plus sensibles à cette maladie qui se développe avec la chaleur de l'été. Notre travail de sélectionneurs est d'envisager que cette maladie puisse se développer à l'avenir et tenter aujourd'hui par croisement de créer des variétés d'épeautres adaptées à nos régions qui seront lors de leur commercialisation, capables de résister à cette maladie, si celle-ci reprend de l'ampleur. En sélection, il faut tenter de prévoir les problèmes dix ans avant leur avènement car c'est la durée moyenne pour créer une variété. C'est une des difficultés mais aussi un des charmes de notre métier.
Je vous souhaite une agréable semaine,
Guillaume Jacquemin